V
Substance Grise assistait au spectacle, porté dans son berceau de champs par les trois vaisseaux de guerre silencieux. Une partie de lui avait envie de pousser des hourras et des cris de triomphe en voyant cette explosion de matériel capable d’anéantir une machine de guerre dix fois, cent fois plus puissante que la flotte affrontière en train d’arriver. Les miracles que l’on pouvait accomplir avec un peu de temps et de patience, quand il n’y avait pas de traités à respecter ni d’accords à honorer !
Une autre partie de lui, pendant ce temps, observait avec horreur l’expansion de l’Excession, qui cachait peu à peu toute la vue alentour, déchaînant une déflagration encore plus considérable que celle que Service Couchettes venait de produire en lâchant ses vaisseaux. On eût cru que le réseau énergétique lui-même s’était retourné comme un gant ou que le trou noir le plus massif de l’univers était soudain devenu blanc et avait éclaté en une éruption de fureur primordiale entre deux univers ; c’était une tempête dévorante, capable d’engloutir Service Couchettes et tous ses vaisseaux comme elle aurait avalé un arbre entouré de tout son feuillage.
Substance Grise était fasciné, épouvanté. Jamais il n’aurait pensé connaître pareille expérience. Il avait grandi dans un univers presque totalement exempt de menaces ; à moins de faire des choses complètement stupides, par exemple se jeter dans un trou noir ou blanc, il n’existait tout simplement pas de force naturelle capable de menacer un vaisseau aussi puissant et aussi élaboré ; même une supernova ne représentait pas une très grande menace, quand on savait la prendre. Cette chose-ci, par contre, c’était entièrement différent. Rien de tel n’avait été observé dans la galaxie depuis les pires jours de la guerre idirane, cinq cents ans plus tôt, et même alors, rien qui eût – et de loin – la même ampleur. Ce qui se passait là était terrifiant. Toucher à cette abomination avec quoi que ce soit de moins parfaitement adapté à sa nature que les ailes soigneusement disséminées d’un champ moteur équivaudrait à lancer une antique fusée au cœur d’un soleil ou à diriger un trois-mâts de bois vers le centre d’une explosion atomique. Il y avait ici une boule de feu d’énergies qui transcendaient toute réalité, un mur de flammes monstrueux capable de tout dévaster sur son passage.
Misère, cela pourrait m’engloutir tout entier ! se dit Substance Grise. Charogne ! Et aussi Perspective Négative, par la même occasion.
Le moment était peut-être arrivé de se mettre en paix avec lui-même.